Les groupes de partage de pratiques du Pôle de Santé du Nord-Ouest Mayennais
Vendredi 01 Novembre 2024
Convaincue de l’intérêt des groupes de partage de pratiques proposés en maisons de santé pluriprofessionnelle, Charlotte Guyon, masseur-kinésithérapeute à Ernée, co-gérante du Pôle de Santé du Nord-Ouest Mayennais (PSNOM) et secrétaire adjointe au sein de l’Association pour le développement de l’exercice coordonné pluriprofessionnel en Pays de la Loire (APMSL), nous en dit plus !
Bonjour Charlotte, pouvez-vous nous présenter les groupes de partage de pratiques mis en place au Pôle de Santé du Nord-Ouest Mayennais ?
Ce sont des temps d’échanges entre professionnels de santé libéraux adhérents au PSNOM, qui regroupent majoritairement des soignants d’une même profession. Aujourd’hui, il existe 5 groupes qui concernent les médecins, les infirmières, les pharmaciens, les diététiciennes et un groupe orthophonistes auquel se joignent parfois les ergothérapeutes et psychomotriciennes.
Pourquoi avoir mis en place ces temps d’échanges ?
Nous avons proposé ces temps pour la première fois en réponse à la demande des infirmières lors la période covid dans un format visioconférence : « Pour monter les groupes, on s’est inspirés des groupes qualité médecins qui étaient organisés depuis plusieurs années pour les décliner à d’autres professionnels ».
Quel est l’objectif ?
Les groupes de partage de pratiques ont été pensés comme un lieu d’échanges qui permet aux professionnels de santé d’exprimer les difficultés de leur exercice et de réfléchir collectivement à d’éventuelles solutions : « L’idée c’est vraiment de pouvoir échanger sur le problème. C’est fait pour débriefer des situations et pouvoir partager ». Les discussions invitent aussi les soignants à prendre du recul, voire parfois à questionner leurs propres pratiques au regard de celles de leurs pairs : « Sans se comparer, c’est de donner à voir d’autres modèles ».
« On ne dit jamais quand on présente que ça va être la solution à tout et qu’à la fin du groupe on a la solution et que ça règle les problèmes. Ça permet d’en parler, d’échanger, de voir comment les autres réagissent, comment ça peut se gérer… Mais on ne dit pas qu’il y a une solution magique à la fin. »
Comment cela s’organise ?
Ces temps d’échanges d’une durée de deux heures, sont animés par un professionnel de santé d’une autre profession, à savoir François Xavier Descleves, médecin généraliste retraité ou moi-même en présence de Géraldine Coutard, la coordinatrice du pôle de santé. La fréquence et l’horaire sont définis selon les besoins et les disponibilités des soignants de manière à faciliter leur participation : « à chaque fois, on a demandé la fréquence, les jours, le rythme aux professionnels concernés ». Charlotte précise que la fréquence varie entre 2 fois dans l’année pour le groupe pharmaciens à un groupe par mois (en dehors des vacances estivales) pour les infirmières : -[« Il y a trois sessions chaque mois car elles sont nombreuses, une trentaine, et on ne veut pas que les groupes soient trop importants. ».
Quelles sont les thématiques abordées dans les groupes ?
Les sujets sont très variés. Par exemple, récemment les diététiciennes ont évoqué la prise en charge des troubles du comportement alimentaire tandis que les infirmières ont travaillé sur la gestion des situations urgentes ou encore l’organisation vie professionnelle et vie personnelle. La plupart du temps, ce sont les professionnels eux-mêmes qui proposent des idées de thématiques pour le prochain groupe. Il s’agit de situations de travail qui posent difficulté aux professionnels de santé mais aussi de sujets d’actualité en lien avec les projets du pôle de santé.
Charlotte Guyon met en avant la souplesse de ce dispositif : « Parfois le sujet peut-être un prétexte parce qu’il y a une situation sur le moment qui est préoccupante. Dans ce cas on laisse faire, on ne recadre pas. Si on sent qu’il y a besoin on laisse aller vers ce sujet-là. »
Quels sont les bénéfices observés ?
L’avantage principal de ces groupes réside dans le fait d’offrir un espace d’expression libre des difficultés rencontrées aux professionnels de santé libéraux. Cela permet de réduire le stress et l’inconfort engendrés par une problématique et contribue ainsi à maintenir un niveau de bien-être au travail satisfaisant.
Les échanges font également émerger des solutions concrètes qui peuvent prendre des formes diverses telles que la réorganisation des pratiques, la mise en place de groupes de travail spécifiques, la création d’outils, l’organisation de formations, etc. Charlotte Guyon prend l’exemple du groupe d’orthophonistes, d’ergothérapeutes et de psychomotriciens dont les difficultés partagées avec le monde enseignant sur les troubles des apprentissages chez l’enfant a conduit à l’organisation d’une réunion avec des professionnels de l’éducation nationale sur le sujet et à la création d’un projet : les « dys-mardi », des groupes d’échanges entre instituteurs et professionnels de la rééducation pour approfondir une dizaine de thématiques. Charlotte déclare « C’est un peu notre incubateur à projets ! ».
La rencontre et l’échange entre professionnels de santé sur des temps dédiés favorisent également l’interconnaissance des professionnels de santé. Pour Charlotte, mieux se connaitre est essentiel pour améliorer la cohésion d’équipe, réduire l’isolement des soignants, prévenir d’éventuels conflits et apaiser des tensions. C’est aussi un levier majeur pour favoriser l’exercice coordonné, comme l’illustre la création d’un livret de soins à domicile commun aux différents cabinets infirmiers qui a permis de faciliter la collaboration entre les infirmières ainsi que la prise en charge à domicile des patients par les médecins généralistes.
Quels sont les facteurs de réussite de ces groupes d’échange ?
La présence de professionnels d’une même profession joue un rôle clé dans le succès des groupes de partage de pratiques qui mobilisent en nombre et depuis plusieurs années les professionnels de santé du pôle. En effet, l’exercice commun des soignants facilite l’expression et la compréhension des difficultés rencontrées au sein du groupe tout en bénéficiant des expériences diversifiées de chacun. Les soignants endossent ainsi un rôle de soutien, rassurent les compétences de leurs pairs en difficulté et sont parfois amener à prévenir l’épuisement professionnel en alertant leurs collègues face à la dégradation de leur santé mentale : « Il s’avère qu’on a une jeune professionnelle qui semblait s’épuiser et ses collègues lui ont dit « fais attention, préserve-toi ! ».»
L’animateur facilite aussi grandement ces échanges constructifs en veillant au respect de certaines règles entre les participants. Parmi elles, Charlotte nomme l’importance du respect d’autrui, du non-jugement ou encore de la bienveillance et met en avant l’attention particulière qui est portée à l’expression de chacun : « On essaie de faire attention à ce que la parole soit libre. C’est notre rôle d’animation aussi d’essayer de distribuer la parole, de s’assurer que tout le monde a bien dit ce qu’il voulait dire et qu’il ne se trouve pas empêché par quelqu’un d’autre. » Cette vigilance sur le langage verbal comme non verbal est grandement facilitée par la présence de deux animateurs dont Géraldine Coutard, coordinatrice du pôle de santé, qui assure notamment la prise de notes des échanges.
L’animation par un représentant d’une autre profession permet d’interroger les pratiques des soignants avec plus de facilité : « Quelque fois je questionne « pourquoi vous ne faites pas différemment ? ». De mon point de vue extérieur, peut-être qu’il y a des freins à changer certains comportements mais parfois c’est juste qu’il y a tellement une habitude là-dessus que personne ne s’est posé la question de savoir si on pouvait faire différemment. ». Ce « regard un peu naïf » invite les participants à analyser avec plus de distance les situations régulières ou occasionnelles sources de difficultés.
Merci Charlotte pour ce précieux retour d’expérience !
Interview et retranscription : Emma VAUGOYEAU, cheffe de projet à May’Santé LAB